Publié le 18/01/2017

La tulipe sauvage – Enquête d’ordinaire

Dans leurs courbes simples et l’élégance de leur forme, turban et tulipe semblent se répondre. À l’apogée de l’histoire de l’Empire ottoman, la fleur, appréciée pour son caractère ornemental, est parfois brodée sur les vêtements ou fichée dans les plis de la coiffe. D’origine perse, duliband terme signifiant turban est adopté et transformé par le turc en tülbend. En 1593, il devient tulipa puis évolue en tulipan (1600), pour se fixer en 1611 sous sa forme contemporaine : tulipe. En 1753, Carl von Linné adjoint à Tulipa le qualificatif Sylvestris pour décrire l’une des représentantes non horticole du genre. À son sujet, James Lloyd fait mention en 1897 d’une dénomination vernaculaire « Avant-Pâques » qui souligne cette fois, la période de floraison de la tulipe sauvage, courant mars.

Avant les années 80, son jaune lumineux égaye généreusement les alignements de ceps sombres et nus du vignoble nantais ou du Layon. Au cycle biologique de la vigne, parfaitement compatible avec celui de la tulipe, s’associent des pratiques culturales favorables à son développement. Pour protéger les plants contre les gelées d’hiver, les viticulteurs utilisent la terre située entre les rangs et en recouvrent les pieds de vigne. À l’inverse, la terre est retirée au printemps. Cavaillonnage et décavaillonnage permettent ainsi aux bulbes de se maintenir en surface et aux bulbilles de se détacher, facilitant leur dissémination. Comme de nombreuses autres plantes adventices, la tulipe sauvage profite de ces soins culturaux et témoigne d’une biodiversité en partie liée à la domestication de la nature.

Cette agriculture extensive va connaître de véritables mutations avec, en point d’orgue, l’introduction des pesticides. Leur utilisation dans les vignes coïncide avec la phase végétative de la tulipe. En un demi-siècle, la plante se raréfie considérablement jusqu’à n’être plus présente qu’en quelques localités. Moins rentable, le vignoble, ici et là, est converti en prairie de fauche ou de pâture. D’autres parcelles abandonnées s’embroussaillent et se boisent. Lorsqu’elle y subsiste, la tulipe se défait progressivement de son caractère messicole. Son qualificatif s’entend à plus forte raison comme « sauvage » mais aussi « des bois ».

Sur quatre des cinq départements de la Région des Pays de la Loire où la plante est présente, le relevé systématique de ses usages et de ses représentations reste à faire. Il apparaît cependant que dans le paysage d’autrefois, la présence de la fleur relève de l’ordinaire. L’opulence du jaune flamboyant suscite chez les enfants un désir de cueillette auquel l’immobilité et le silence du végétal semblent consentir. Entre admiration et prédation, le bouquet est une volonté de partager une expérience de la nature, l’émerveillement enfantin. La diminution inquiétante de la tulipe sauvage va révéler son caractère précieux et identitaire. Devenue relictuelle, elle obtient le statut de plante protégée. Sa cueillette, la mettant en danger, est dès lors interdite.

La législation en matière de protection se fonde sur l’idée d’une nature sauvage. Parce qu’elles se développent sur des terres agricoles, la réglementation ne peut prémunir les messicoles des conséquences néfastes d’un changement de culture ou d’opérations d’exploitation courante. Il faut donc souffler sur les braises d’une connivence perdue afin de préserver l’habitat de cette plante emblématique du vignoble. Le génie écologique et un engagement particulier de la part d’éventuels viticulteurs seront alors déterminants sur des espaces où l’on ne vise plus exclusivement la rentabilité économique, mais aussi la biodiversité et la réconciliation.

Fanny Pacreau

Anthropologue

Photos © Bernard LASCURETTES